Le Dériveur de Randonnée Nautique : Un Pont entre l’Angleterre et la France après la Seconde Guerre Mondiale

Le Dériveur de Randonnée Nautique : Un Pont entre l’Angleterre et la France après la Seconde Guerre Mondiale

Après la Seconde Guerre mondiale, un vent de liberté a soufflé sur la voile légère, et de nombreux dériveurs ont vu le jour dans les années 1950, répondant à une demande croissante de bateaux simples, accessibles et adaptés à la pratique de la randonnée nautique. Parmi les modèles les plus emblématiques, deux dériveurs, nés dans des contextes différents, ont marqué cette période : le Gull Dinghy (1956) en Angleterre, conçu par Ian Proctor, et le Vaurien (1957) en France, conçu par Jean-Jacques Herbulot. Ces deux dériveurs ont ouvert la voie à une nouvelle approche de la voile, mais leur trajectoire et leur héritage divergent considérablement en raison des différences de contexte nautique et culturel entre les deux pays.

1. Le Gull Dinghy : Le Modèle Britannique de Randonnée Nautique

a) La Conception d'Ian Proctor (1956)

Le Gull Dinghy a été conçu par l'architecte naval Ian Proctor en 1956, dans le but de proposer un dériveur léger et pratique pour la randonnée nautique. Ce bateau de 11 pieds (3,35 mètres), à fond plat et avec une dérive escamotable, a été pensé pour offrir à la fois stabilité et maniabilité, tout en étant facilement transportable. Comme son nom l'indique, le Gull (littéralement "mouette" en anglais) était un dériveur conçu pour voguer aussi bien sur des eaux côtières qu’en lac ou rivière, avec la possibilité de l'emmener partout, grâce à sa remorque.

Le Gull a rapidement trouvé sa place parmi les plaisanciers britanniques désireux de partir en randonnée nautique ou de découvrir les côtes britanniques sans se soucier des infrastructures portuaires lourdes et coûteuses. La conception de ce bateau, pensée pour l'autonomie et la facilité de navigation, a été un véritable tournant pour la voile de loisir au Royaume-Uni.

b) La Dinghy Cruising Association : Le Moteur de la Randonnée Nautique

Le Gull Dinghy a été un des fers de lance de l’essor du dinghy cruising au Royaume-Uni. En 1956, la Dinghy Cruising Association (DCA) a été fondée pour promouvoir la pratique de la voile légère pour la randonnée. Cette organisation a joué un rôle clé dans la promotion de cette pratique, en organisant des événements, des croisières et en mettant en avant l’idée d’un mode de navigation autonome et accessible. La DCA a soutenu des événements où des membres se retrouvaient pour des sorties sur des dériveurs comme le Gull, tout en favorisant l’esprit de communauté et de partage dans la voile.

Cette association a contribué à créer un véritable réseau de passionnés de randonnée nautique, et à populariser l’idée que la voile pouvait se pratiquer sans nécessiter d’infrastructures lourdes, comme les marinas ou les grands voiliers habitables. Cette approche plus libre, qui privilégiait la souplesse et la simplicité, a rencontré un franc succès au Royaume-Uni.

2. Le Vaurien : Un Modèle Français Légendaire

a) Le Vaurien de Jean-Jacques Herbulot (1957)

De l'autre côté de la Manche, en France, c'est Jean-Jacques Herbulot qui conçoit, en 1957, le Vaurien, un dériveur léger de 4 mètres (13 pieds). Comme le Gull Dinghy, le Vaurien a été pensé pour être facile à manœuvrer, transportable sur une remorque, et adapté à une pratique de la voile légère pour tous : débutants, familles, et même pour des croisières de longue durée. Le Vaurien a rapidement gagné en popularité grâce à sa grande stabilité et sa simplicité de prise en main, tout en restant suffisamment performant pour les régates.

Le Vaurien a été un modèle particulièrement apprécié dans les clubs et écoles de voile en France. Il a même été le bateau de prédilection de l’École de voile des Glénans, fondée en 1947, qui a largement contribué à l'enseignement de la voile dans les années 1950 et 1960. Toutefois, contrairement au Royaume-Uni, le modèle du Vaurien n’a pas vraiment pris la direction de la randonnée nautique. Bien qu’il ait été tout à fait adapté à ce type de navigation, le Vaurien a été davantage utilisé dans des compétitions et dans une approche plus traditionnelle de la voile légère, notamment dans le cadre des écoles de voile.

b) Les Écoles de Voile et l’Émergence des Voiliers Habitables

Dans les années 1960, cependant, la France a commencé à se tourner vers des pratiques de plaisance plus institutionnalisées, en particulier grâce à des ports de plaisance et à la montée en puissance des voiliers habitables. Le développement des infrastructures portuaires a entraîné une évolution dans les pratiques de la voile en France, au profit des croisières côtières à bord de voiliers plus grands et plus confortables.

L’un des facteurs clés de ce changement a été l'influence de l’École de voile des Glénans, qui, au fil du temps, a orienté ses formations vers des voiliers habitables. L’école a formé des générations de plaisanciers qui, à leur tour, ont participé à la révolution de la croisière en voilier, qui est devenue un mode de navigation de plus en plus populaire. La croissance des marinas en France a contribué à cette évolution, et les dériveurs légers comme le Vaurien ont peu à peu été relégués au second plan au profit de ces voiliers plus grands et nécessitant plus d'infrastructures.

3. Deux Trajectoires Distinctes : Le Royaume-Uni et la France

a) Le Royaume-Uni : Une Tradition de Randonnée Nautique

Au Royaume-Uni, l'essor de la randonnée nautique a été durable, et des modèles comme le Gull Dinghy ont continué de prospérer, soutenus par la Dinghy Cruising Association. La philosophie du dinghy cruising, qui privilégie les croisières légères en dériveur, a marqué la culture de la plaisance britannique. Contrairement à la France, le Royaume-Uni n’a pas cherché à concentrer ses efforts sur le développement de marinas et d'infrastructures portuaires. Au lieu de cela, les plaisanciers ont continué de privilégier la simplicité et l'indépendance, ce qui a permis au dinghy cruising de rester un pilier de la voile de loisir.

b) La France : Un Tournant vers les Voiliers Habitables



En revanche, la France a rapidement pris un virage vers une plaisance plus institutionnalisée, soutenue par la construction de ports de plaisance modernes et le développement de la croisière en voiliers habitables. Les dériveurs légers comme le Vaurien ont été relégués au second plan, même si ce modèle reste encore apprécié aujourd'hui dans certaines écoles de voile et clubs.

Le déclin de la randonnée nautique en France s’explique par cette évolution des pratiques et par la volonté de développer des infrastructures adaptées aux voiliers de croisière, avec des marinas de plus en plus nombreuses, ce qui a contribué à éloigner les pratiquants de la voile légère et des dériveurs de randonnée.

4. Conclusion : L'Héritage du Dériveur de Randonnée Nautique

En définitive, le Gull Dinghy et le Vaurien sont deux exemples de la manière dont les dériveurs de randonnée ont contribué à l’essor de la voile après la Seconde Guerre mondiale. Si le Royaume-Uni a cultivé une forte culture de la randonnée nautique autour du Gull Dinghy, soutenue par la Dinghy Cruising Association, la France a choisi de se concentrer sur les voiliers habitables et la construction d’infrastructures portuaires modernes, reléguant ainsi la pratique de la randonnée nautique au second plan au profit de la croisière en voilier habitable.

L’héritage du Gull Dinghy et du Vaurien perdure encore aujourd’hui, et ces deux dériveurs légers continuent d’inspirer les plaisanciers désireux de naviguer de manière simple et autonome.

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